Le Monde des Religions n° 60 – Juillet/Août 2013 –
Une histoire juive raconte qu’en réalité, Dieu a créé Ève avant Adam. Comme Ève s’ennuie au paradis, elle demande à Dieu de lui donner un compagnon. Après mûre réflexion, Dieu finit par accéder à sa demande : « Entendu, je vais créer l’homme. Mais fais attention, il est très susceptible : ne lui dis jamais que tu as été créée avant lui, il le prendrait très mal. Que cela reste un secret entre nous… entre femmes ! »
Si Dieu existe, il est bien évident qu’il n’est pas sexué. On peut donc se demander pourquoi la plupart des grandes religions s’en sont faites une représentation exclusivement masculine. Comme le rappelle le dossier de ce numéro, il n’en a pas toujours été ainsi. Le culte de la Grande Déesse a sans doute précédé celui de « Yahvé, seigneur des armées », et les déesses occupaient une place de choix dans les panthéons des premières civilisations. La masculinisation du clergé est sans doute l’une des principales raisons de ce renversement, qui s’opéra au cours des trois millénaires qui précèdent notre ère : comment une cité et une religion gouvernées par des hommes pouvaient-elles vénérer une divinité suprême du sexe opposé ? Avec le développement des sociétés patriarcales, la cause est donc entendue : le dieu suprême, ou le dieu unique, ne peut plus être conçu comme féminin. Non seulement dans sa représentation, mais aussi dans son caractère et sa fonction : on valorise ses attributs de puissance, de domination, de pouvoir. Au ciel comme sur la terre, le monde est gouverné par un mâle dominateur.
Même si le caractère féminin du divin va subsister au sein des religions à travers divers courants mystiques ou ésotériques, ce n’est finalement qu’à l’époque moderne que cette hypermasculinisation de Dieu est véritablement remise en cause. Non qu’on passerait d’une représentation masculine à une représentation féminine du divin. Nous assistons plutôt à un rééquilibrage. Dieu n’est plus essentiellement perçu comme un juge redoutable, mais surtout comme bon et miséricordieux ; les croyants sont de plus en plus nombreux à croire en sa bienveillante providence. On pourrait dire que la figure typiquement « paternelle » de Dieu tend à s’estomper au profit d’une représentation plus typiquement « maternelle ». De même la sensibilité, l’émotion, la fragilité, sont valorisées dans l’expérience spirituelle. Cette évolution n’est évidemment pas sans lien avec la revalorisation de la femme dans nos sociétés modernes qui touche de plus en plus les religions, en permettant notamment à des femmes d’accéder à des fonctions d’enseignement et de direction du culte. Elle traduit aussi la reconnaissance, dans nos sociétés modernes, de qualités et de valeurs identifiées comme plus « typiquement » féminines, même si elles concernent évidemment tout autant les hommes que les femmes : la compassion, l’ouverture, l’accueil, la protection de la vie. Face à l’inquiétant sursaut machiste des intégrismes religieux de tous bords, je suis convaincu que cette revalorisation de la femme et cette féminisation du divin constituent la clé principale d’un véritable renouveau spirituel au sein des religions. Assurément, la femme est l’avenir de Dieu.
Je profite de cet éditorial pour saluer deux femmes que nos fidèles lecteurs connaissent bien. Jennifer Schwarz, qui a été rédactrice en chef de votre magazine, s’envole aujourd’hui pour de nouvelles aventures. Je la remercie du fond du coeur pour l’enthousiasme et la générosité avec laquelle elle s’est investie pendant plus de cinq ans dans sa fonction. J’accueille aussi chaleureusement celle qui lui succède à ce poste : Virginie Larousse. Cette dernière a longtemps dirigé une revue universitaire consacrée aux religions et a enseigné l’histoire des religions à l’université de Bourgogne. Elle collaborait depuis de nombreuses années au Monde des Religions.