Le Monde des religions, septembre-octobre 2009 —
La France est le pays européen qui compte le plus de musulmans. Or le développement rapide de l’islam au pays de Pascal et de Descartes aux cours des dernières décennies suscite peurs et interrogations. Ne parlons pas du discours fantasmatique de l’extrême-droite, qui tente d’activer ces peurs en prophétisant un bouleversement de la société française sous la « pression d’une religion appelée à devenir majoritaire ». Plus sérieusement, certaines inquiétudes sont tout à fait légitimes : comment concilier notre tradition laïque, qui renvoie la religion dans la sphère privée, avec de nouvelles revendications religieuses spécifiques à l’école, à l’hôpital, dans les lieux publics ? Comment concilier notre vision d’une femme émancipée avec la montée d’une religion aux signes identitaires forts, tel le fameux foulard – sans parler du voile intégral -, qui évoquent pour nous la soumission de la femme au pouvoir masculin ? Il y a bel et bien un choc culturel et un conflit de valeurs qu’il serait dangereux de nier. Mais s’interroger, ou émettre des critiques, ne signifie pas pour autant transmettre des préjugés et stigmatiser dans une attitude défensive, mue par la peur de l’autre et de sa différence. C’est pourquoi Le Monde des Religions a voulu consacrer un grand dossier exceptionnel de 36 pages aux musulmans français et la question de l’islam en France. Cette question se pose concrètement depuis deux siècles avec l’arrivée des premiers émigrés et s’enracine même dans notre imaginaire depuis plus de douze siècles avec les guerres contre les Sarrasins et la fameuse bataille de Poitiers. Aussi est-il nécessaire de porter un regard historique sur la question pour mieux apprécier les peurs, les préjugés et les jugements de valeurs que nous portons sur la religion de Mohammed (et non
« Mahomet », comme l’écrivent les médias, sans savoir qu’il s’agit d’une dénomination turcophone du Prophète héritée de la lutte contre l’empire ottoman). Nous avons ensuite tenté d’explorer la galaxie des musulmans français à travers des reportages sur cinq grands groupes très divers (et non exclusifs) : les anciens immigrés algériens venus travailler en France à partir de 1945 ; les jeunes musulmans français qui mettent au premier plan leur identité religieuse ; ceux qui, tout en assumant une identité musulmane, entendent d’abord la passer au crible de la raison critique et des valeurs humanistes héritées des Lumières ; ceux qui ont pris leur distance avec l’islam comme religion ; et ceux enfin qui sont dans la mouvance fondamentaliste salafiste. Cette mosaïque d’identités révèle l’extrême complexité d’une question fortement émotionnelle et politiquement très sensible. à tel point que les pouvoirs publics refusent d’utiliser les
appartenances religieuses et ethniques pour les recensements, ce qui permettrait pourtant de mieux cerner les Français musulmans et de connaître leur nombre. Il nous a ainsi semblé utile de clore ce dossier par des articles de décryptage sur les rapports entre l’islam et la République, ou la question de l’« islamophobie», et de donner la parole à plusieurs universitaires ayant une vision distanciée.
L’islam est la deuxième religion de l’humanité en nombre de fidèles après le christianisme. C’est aussi la deuxième religion de France, loin derrière le catholicisme, mais loin devant le protestantisme, le judaïsme et le bouddhisme. Quelle que soit l’opinion que l’on ait de cette religion, c’est un fait. L’un des plus grands défis de notre société est de travailler à la meilleure harmonisation possible de l’islam avec la tradition culturelle et politique française. Cela ne pourra pas se faire, pour les musulmans comme pour les non-musulmans, dans un climat d’ignorance, de défiance ou d’agressivité…