“Jésus camp ». C’est le nom d’un documentaire édifiant consacré aux évangéliques américains sorti le 18 avril sur les écrans français. On suit la « formation à la foi » d’enfants de 8 à 12 ans de familles appartenant au mouvement évangélique. Ils suivent les cours de catéchisme d’une missionnaire, fan de Bush, dont les propos font froid dans le dos. Les pauvres aimeraient bien lire Harry Potter, comme leurs petits camarades, mais la dame catéchiste le leur interdit formellement, rappelant sans rire que les sorciers sont les ennemis de Dieu et que « dans l’Ancien Testament, Harry Potter aurait été mis à mort ». La caméra saisit alors un petit instant de bonheur: un enfant de parents divorcés confie malicieusement à son voisin qu’il a pu voir le DVD du dernier opus… chez son père ! Mais la condamnation des crimes du sorcier de papier est peu de choses à côté du bourrage de crâne dont sont victimes ces enfants au sein du camp de vacances. Tout le programme des conservateurs américains y passe, et avec le plus mauvais goût : une visite d’un président Bush en carton pâte qu’on leur fait saluer comme le nouveau Messie ; une distribution de petits foetus en plastique pour qu’ils réalisent l’horreur de l’avortement ; une critique radicale des théories darwiniennes sur l’évolution des espèces… Le tout dans une atmosphère permanente de kermesse, d’applaudissements et de chants en langue. À la fin du documentaire, la dame catéchiste se voit reprocher par un journaliste d’opérer un véritable lavage du cerveau des enfants. La question ne la choque nullement : «Oui, répond-elle, mais les musulmans font exactement la même chose avec leurs enfants. » L’islam est une des obsessions de ces évangéliques pro-Bush. Une scène étonnante clôt le film : une petite fille missionnaire, qui doit avoir 10 ans, aborde dans la rue un groupe de personnes noires pour leur demander « où ils pensent aller après la mort ». La réponse la laisse pantoise. «Ils sont sûrs d’aller au paradis… alors qu’ils sont musulmans », confie-t-elle à son jeune copain de mission. «Ce doit être des chrétiens », conclut ce dernier après un instant de flottement. Ces gens-là n’ont d’« évangélique » que le nom. Leur idéologie sectaire (nous sommes les vrais élus) et guerrière (nous allons dominer le monde pour le convertir) est aux antipodes du message des Évangiles.
On finit aussi par être écoeuré par leur obsession du péché, notamment sexuel. On se dit que cette insistance à condamner le sexe (avant le mariage, hors mariage, entre personnes du même sexe) doit cacher bien des pulsions refoulées. Ce qui vient d’arriver au révérend Ted Haggard, le charismatique président de l’Association nationale évangélique américaine, qui regroupe 30 millions de membres, en est la parfaite illustration. On le voit dans le film haranguer les enfants. Mais ce que le film ne dit pas, car le scandale est arrivé après, c’est que ce héraut de la lutte contre l’homosexualité a été dénoncé, il y a quelques mois, par un prostitué de Denver, comme un client particulièrement assidu et pervers. Après avoir nié les faits, le pasteur a finalement reconnu son homosexualité, « cette saleté » dont il se dit victime depuis des années dans une longue lettre envoyée à ses fidèles pour expliquer sa démission. Cette Amérique mensongère et hypocrite, celle de Bush, fait peur. Il faut cependant éviter les amalgames malheureux. Véritables miroirs des talibans afghans, ces intégristes chrétiens enfermés dans leurs pauvres certitudes et dans leur effrayante intolérance ne représentent pas la totalité des quelque 50 millions d’évangéliques américains, dont il faut rappeler qu’ils étaient majoritairement hostiles à la guerre en Irak. Prenons garde aussi à ne pas identifier ces fous de Dieu avec les évangéliques français, enracinés en France depuis parfois plus d’un siècle et qui sont aujourd’hui plus de 350 000 à travers 1 850 lieux de culte. Leur ferveur émotionnelle et leur prosélytisme inspiré des mega churches américaines peuvent nous indisposer. Ce n’est pas une raison pour les assimiler à des sectes dangereuses, comme l’ont trop facilement fait les pouvoirs publics depuis une dizaine d’années. Mais ce documentaire nous montre que la certitude de « posséder la vérité » peut vite faire basculer dans le sectarisme haineux des gens sans doute parfaitement bien intentionnés.