« Il faut absolument sortir de cette logique absurde de croissance infinie dans un monde fini »
Le Monde des religions, 4 octobre 2020Le Monde des religions – 4/10/2020 – par Virginie Larousse –
Dans un entretien au « Monde », l’ex-ministre de la transition écologique et le philosophe invitent la société à « s’interroger en permanence sur la finalité de ses choix ». Cette « révolution des consciences » est, alertent-ils, une « question de survie ».
Ils ont en commun d’avoir été des hommes de médias – la télévision pour Nicolas Hulot et son émission Ushuaïa, la presse écrite pour Frédéric Lenoir, ancien directeur de la rédaction du Monde des religions. Un autre point commun les rapproche : leur amour de la nature et leur engagement au service du bien commun, qu’ils défendent en particulier au sein de la Fondation Nicolas Hulot pour l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire, et de la Fondation SEVE (Savoir être et vivre ensemble) pour le philosophe.
« Nous sommes à un carrefour sublime où se joue notre survie », affirment-ils dans l’ouvrage à quatre mains qu’ils viennent de publier chez Fayard, D’un monde à l’autre, le temps des consciences*. Un dialogue nourrissant, où la combativité le dispute à l’incompréhension face au déni global de la gravité de la crise que nous traversons.
Pour « sortir de l’impasse, celle de la résignation couplée à l’abdication de la conscience individuelle au profit de l’inconscience collective », les deux hommes invitent à « oser l’utopie ». Et à retrouver le sens du sacré dans une société qui se délite.
A l’heure où des signaux alarmants menacent notre civilisation, vous appelez à construire un « nouveau monde ». Comment le définiriez-vous ?
Frédéric Lenoir : Je partage avec Nicolas Hulot et beaucoup d’autres un certain nombre de valeurs : l’aspiration à la beauté, le lien avec la nature, la liberté – une liberté avant tout intérieure, qui ne consiste pas simplement à suivre ses désirs, mais à accepter de se fixer des limites –, le partage, la solidarité.
Nous n’avons pas envie de vivre dans un monde où les inégalités ne cessent de croître, dans un monde fondé sur des valeurs de compétition, de domination, de prédation, où les sociétés humaines se délitent, emportées par ce libéralisme consumériste.
Nicolas Hulot : Le « monde d’après », pour employer une formule à la mode, c’est une société qui s’interroge en permanence sur la finalité de ses choix, qui redéfinit les fins avant les moyens, une société qui ne cesse de passer au tamis de la conscience ses propres décisions, qui resynchronise science et conscience, et qui refuse de dévoyer le sens des mots « économie » ou « progrès ». C’est un monde qui passe de la compétition à la coopération, de la prédation à la protection.
Force est de constater qu’aujourd’hui, nos sociétés se désolidarisent – même si les intentions de départ étaient louables. A l’aune du XXIe siècle, nous subissons les conséquences de notre trop grand succès, de notre technologie, de notre science. Il est plus qu’urgent de faire l’inventaire de nos acquis pour distinguer ceux qui participent réellement à l’épanouissement humain de ceux qui nous aliènent, de trier dans les possibles – car tout ce qui est possible économiquement et technologiquement n’est pas forcément vertueux.
Le schéma que vous proposez n’est-il pas une utopie ?
N. H. : La véritable utopie, c’est d’imaginer qu’une économie basée sur une exploitation exponentielle de ressources limitées peut avoir un débouché sans passer par la case pénurie. La véritable utopie est de penser que la pénurie peut s’accorder avec la démocratie. La véritable utopie, c’est de croire que dans ce substrat sur lequel la vie s’est formée au fil du temps et qui est en train de se déliter, l’homme aura une place de choix. L’utopie est d’imaginer que le modèle actuel et ses affres puissent avoir une issue heureuse pour l’humanité. Enfin, la dernière utopie est de penser qu’un monde où 1 % de la population capte 93 % de la richesse peut vivre en paix. Peut-être tant que cela ne se sait pas ! Mais dans un monde ouvert au grand jour, parce qu’hyperconnecté, chacun peut prendre conscience de ces situations d’injustices et d’indignité, lesquelles ne sont pas compatibles avec la paix.
« Le monde d’après est une société qui ne cesse de passer au tamis de la conscience ses propres décisions »
L’utopie est de penser qu’on peut prolonger ce modèle inique sans qu’il y ait de conséquences délétères, y compris pour ceux qui en profitent. C’est pourquoi la solidarité n’est pas une option : personne ne pourra vivre tranquillement dans un monde marqué par de telles inégalités.
F. L. : Nous n’avons pas le choix. Nous vivons une période inédite dans l’histoire de l’humanité. Jamais l’humanité n’a été connectée comme elle l’est aujourd’hui, où tout a un impact d’un bout à l’autre de la planète, contrairement aux époques anciennes.
En outre, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous impactons la planète : depuis qu’à la fin des années 1950, nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène, l’effet des activités humaines est devenu déterminant sur les équilibres planétaires et sur l’avenir de la vie sur terre, avec notamment la réduction dramatique de la biodiversité.
Pour le meilleur et pour le pire, nous sommes tous reliés à un destin commun. Si nous voulons que le vivant, et notamment l’humanité, puisse continuer durablement à s’épanouir sur terre, il faut absolument sortir de cette logique absurde de croissance infinie dans un monde fini. Ce qu’on vit aujourd’hui est une crise systémique, puisque tout est lié : crise économique, écologique, sanitaire, etc. Il faut sortir de la logique qui sous-tend cette crise, à savoir la recherche permanente du toujours plus, passer du règne de la quantité au règne de la qualité – qualité de vie, d’être, de relation avec les autres, avec le monde.
Le changement de paradigme que vous préconisez doit passer par une remise à plat totale du système – de la vie politique au fonctionnement de l’Union européenne, en passant par les entreprises et nous-mêmes. Par quoi commencer ? Comment se mettre en action ?
N. H. : Cela peut sembler décourageant car nous avons laissé les crises s’accumuler au lieu de les anticiper. Je préconise de commencer par mettre en place une méthode : comment organise-t-on la mutation ? Nous devons reprendre ce temps d’évaluation, de pause, qui fait cruellement défaut dans une société précipitée comme la nôtre. Une métamorphose se planifie sur des années, des décennies parfois, donc bien au-delà d’un horizon électoral.
C’est pourquoi il faut se fixer des objectifs, les cranter dans la loi pour les rendre irréversibles et être capables d’anticiper les secteurs qui seront impactés par ces décisions afin de ne laisser personne sur le chemin – dans une société hypra-réactive comme la nôtre, cela générerait toutes sortes de blocages. Nos démocraties sont cruellement indigentes sur l’anticipation et l’accompagnement du changement. On sait souvent ce qu’il faut faire, mais on ne sait pas comment faire.
« Personne ne pourra vivre tranquillement dans un monde marqué par de telles inégalités »
F. L. : Il est clair que nous aurons à faire face à des choix douloureux, puisqu’il faudra soutenir tout ce qui est viable à long terme et assumer de désinvestir les secteurs d’activités les plus néfastes pour l’environnement. C’est ce que nous appelons la croissance sélective. Il faudra accompagner les secteurs en difficulté.
Dans le contexte de crise de la représentativité politique que l’on connaît, la participation des citoyens aussi est essentielle. Aujourd’hui, ces derniers ne se sentent pas représentés. Il faut donc davantage les associer – comme on l’a fait, notamment, avec la convention citoyenne pour le climat, où les 150 personnes tirées au sort ont osé prendre des décisions particulièrement audacieuses.
Il s’agit également que chacun se prenne en main sur le plan individuel. Tout ne peut pas venir de l’Etat. Gandhi disait : « Soyez le changement que vous voulez pour le monde ». Nous devons changer nos modes de vie. On sait que la surconsommation de viande est catastrophique pour la planète, en plus d’être mauvaise pour la santé et source de souffrance pour les animaux. Nous pouvons tous, à notre niveau, diminuer notre consommation de viande.
Ce qui nous conduit dans le mur, c’est la conjugaison des égoïsmes, le fait que nous en voulons toujours plus. Comment comprendre cette incapacité à se satisfaire de l’existant ?
F. L. : Des philosophes grecs au Bouddha, les sages de l’humanité ont pointé ce caractère paradoxal de l’être humain, animé par une pulsion le poussant à toujours posséder davantage, mais qui a également cette capacité extraordinaire de prendre conscience qu’il doit se modérer pour découvrir un bonheur plus profond et durable que l’euphorie du « toujours plus ». Des explications scientifiques corroborent cette intuition : notre cerveau a besoin de la dopamine, addictive, qui lui apporte du plaisir immédiat. On réalise pourtant que ce qui fonde nos joies les plus profondes vient de l’être – la connaissance, la contemplation de la nature, la qualité des relations qu’on entretient – et non de l’avoir.
N. H. : Victor Hugo avait bien anticipé le vice : « A force de vouloir posséder, c’est nous qui sommes possédés. » Cela dit, n’oublions pas que beaucoup de gens qui n’ont pas le minimum aimeraient en être à ce stade. Mais nous sommes nombreux à avoir cédé à une forme d’ébriété, la société ayant créé cette tyrannie du désir qui nous rend insatisfaits en permanence. Nous devrions commencer par prendre conscience que nous aspirons à être des êtres libres, alors qu’en réalité nous sommes conditionnés, quasiment automatisés. Nous ne savons plus limiter nos pulsions. Cette simple conscience devrait suffire à nous interroger. Si nous voulons réellement être libres, reprenons la main sur nos pulsions.
Un grand malentendu existe avec le mot « liberté », qui en réalité ne désigne pas l’absence de règles, mais au contraire la règle qu’on se fixe à soi-même. Cela fait partie des étapes de civilisation que l’humanité doit franchir – savoir se fixer des limites –, ce qui est sans doute la phase la plus difficile. Cette crise de sens est une question fondamentale que nous ne pouvons plus esquiver, et qui peut s’orienter ensuite par des politiques publiques, notamment de fiscalité incitative ou dissuasive.
« Nous aspirons à être des êtres libres, alors qu’en réalité nous sommes conditionnés, quasiment automatisés »
F. L. : Dès le XVIIe siècle, Spinoza, l’inventeur de la philosophie politique moderne, a théorisé nos démocraties modernes, expliquant que le meilleur système est celui qui sépare le politique et le religieux, avec un Etat de droit qui garantisse la liberté de conscience et d’expression. Mais il dit en même temps que jouir de ces libertés politiques est vain si nous restons esclaves de nos désirs et de nos pulsions.
Il faut donc développer une capacité à discerner ce qui provoque en nous des joies profondes qui nous élèvent, et non de petits désirs qui nous diminuent. L’essence de l’homme, c’est le désir, rappelle-t-il. Il ne s’agit pas de le supprimer mais de l’orienter par la raison vers ce qui nous fait grandir et est socialement juste. C’est pourquoi je pense, à sa suite, qu’il faut toujours lier l’éthique et le politique.
Nombreuses sont les personnes qui partagent vos analyses et qui s’attachent, dans leur quotidien, à mener une vie sobre. Ne devraient-elles pas s’organiser en front commun pour être capables de peser dans le débat public ?
N. H. : Au fil de mes voyages, je suis devenu convaincu que deux humanités s’opposent : l’une travaille pour accaparer le bien commun, quand l’autre cherche au contraire à le protéger – pour le dire en caricaturant un peu. L’humanité bienveillante est majoritaire, mais elle n’est pas structurée, contrairement à l’humanité sans scrupule et cynique.
Votre question est donc essentielle : comment faire en sorte que cette majorité puisse s’exprimer, donner le chemin et devenir un souffle irrésistible ? Peut-être cette force vertueuse est-elle en train de s’organiser de manière imperceptible et qu’elle émergera de manière inattendue, loin des formes classiques de la politique partisane. Il ne faut jamais désespérer : comme le dit le proverbe, « On entend l’arbre tomber mais pas la forêt pousser ». C’est la seule chose qui m’empêche de me résigner.
Vous arrive-t-il, néanmoins, d’avoir envie de tout envoyer balader devant le peu de résultats obtenus ?
N. H. : Evidemment, il y a parfois du fatalisme, de la résignation et même de la colère, d’autant que je me fais régulièrement conspuer sous prétexte que je n’ai pas de solution à tout, alors que ça fait trente-cinq ans que je me bats.
Oui, il y a des moments où on a envie de jeter l’éponge, où je me dis, « que d’énergie pour dire à l’humanité de se sauver d’elle-même » ! Mais par rapport à cette humanité invisible dont je parlais, quand on a la liberté que j’ai, on n’a pas le droit de s’exclure du combat. Pour tous ceux qui luttent, pour nos enfants et pour toutes les victimes, on n’a pas le droit de déserter.
Et au-delà des coups, des désagréments que l’on peut ressentir quand on a le sentiment de ne pas être entendu, il y a tout de même une forme de redevance. Cet engagement a mis sur mon chemin des hommes et des femmes d’exception, que je n’aurais pas rencontrés autrement. Cela n’a pas de prix.
F. L. : Je ne pourrais pas être heureux dans un monde malheureux, me mettre à l’écart du monde en me disant « tant pis ». J’ai besoin de me sentir utile. J’ai beaucoup reçu, et j’ai donc besoin de participer à favoriser cette nécessaire transformation des consciences. Ce qui me soutient, c’est de voir que beaucoup de gens s’investissent généreusement dans la vie associative et aspirent à autre chose.
« Ce qui fonde nos joies les plus profondes vient de l’être – la connaissance, la contemplation de la nature, la qualité des relations qu’on entretient – et non de l’avoir »
Pourriez-vous vous laisser retenter par la vie politique ?
N. H. : Victor Hugo dénonçait déjà cette politique où on préfère la consigne à la conscience – une des explications de la défiance d’une partie de la population envers la classe politique. Ce qui nuit à la politique, c’est l’esprit de corps, le fait d’abdiquer sa conscience individuelle au profit d’une conscience de horde. Face à la gravité de la situation à laquelle nous sommes confrontés, on devrait être capables de s’entendre sur des objectifs communs et d’additionner les intelligences, plutôt que de les confronter en permanence.
J’espère toujours secrètement qu’une forme nouvelle de politique, de rassemblement, où on prendrait le meilleur de la société civile, du politique, de l’économie, de la communauté scientifique, se fera jour pour dessiner l’imaginaire de demain et le construire. Je serais très heureux de la soutenir. Puis-je en prendre l’initiative ? Pour être très franc, je ne m’en sens plus l’énergie. Il faut du sang neuf. Mais la politique est comme la nature : elle a horreur du vide. Or il y a actuellement en politique un vide abyssal, qui peut certes être comblé par le pire mais aussi par le meilleur. C’est souvent dans les moments tendus que de grandes femmes ou de grands hommes émergent. J’attends cela avec impatience.
« Ce qui nuit à la politique, c’est l’esprit de corps, le fait d’abdiquer sa conscience individuelle au profit d’une conscience de horde »
Les religions et spiritualités peuvent-elles accompagner cette transition, ou sont-elles tout aussi sclérosées que la politique ?
F. L. : Les deux options existent. Les religions peuvent entretenir la sclérose en maintenant des modèles culturels qui doivent évoluer profondément, notamment concernant la condition de la femme, ou maintenir des préjugés d’intolérance qui ne facilitent pas le dialogue des cultures. Mais elles peuvent aussi apporter une dimension spirituelle, rappeler à l’être humain la nécessité de la vie intérieure, de la méditation, de l’amour. Si ce message était vécu et incarné, le monde en serait transformé !
Les religions sont ambivalentes ; elles peuvent porter le meilleur comme le pire, du sectarisme à l’universalité en passant par la domination ou l’amour du prochain. Dans le meilleur, il y a par exemple la remarquable encyclique sur l’écologie Laudato si’ du pape François, de même que ses prises de position pour la justice sociale, l’accueil de l’étranger. C’est une voix précieuse.
N. H. : Un des grands pionniers de l’écologie, l’agronome René Dubos, disait que l’homme n’est plus relié à rien, ce qu’il qualifiait de « désarroi tragique de l’homme moderne ». Cela fait partie des affres du moment : nous sommes effectivement déliés de tout, de notre passé, de notre futur que nous sommes en train de compromettre. Nous devons donc nous relier.
« J’espère toujours secrètement qu’une forme nouvelle de politique se fera jour pour dessiner l’imaginaire de demain et le construire »
A-t-on besoin des religions pour cela ? Ce n’est pas sûr, mais elles peuvent y participer. C’est pourquoi, quand j’ai participé à la préparation de la COP21, un de mes premiers gestes a été d’établir un contact avec le Vatican et avec la plupart des grandes religions : tout ce qui touche à la création devrait être mobilisateur pour elles et pour les croyants dans leur ensemble.
Néanmoins, cette crise de sens concerne tout autant les laïcs et les athées. La spiritualité n’est pas l’apanage des religions. Quoi qu’il en soit, tout ce qui nous permet de nous relier, d’honorer la vie et de nous rendre compte de ce privilège incroyable que nous avons d’être en vie, d’éveiller les consciences à cette dimension miraculeuse, voire magique, de la vie, doit être favorisé. Car contrairement à ce que l’on croit, cette dernière n’est pas la norme dans l’univers, mais l’exception.
Qu’est-ce que le sacré, selon vous, et comment en retrouver la saveur dans une société qui n’est plus connectée à une forme de transcendance ?
F. L. : Il y a deux définitions du sacré. L’une, élaborée par le fondateur de la sociologie, Emile Durckheim, distingue le sacré du profane : est sacré ce que les religions ont sacralisé comme lieux, espaces et temps pour les séparer du monde profane. L’autre définition du sacré, plus anthropologique, est celle de Rudolf Otto : le sacré est ce que l’être humain peut éprouver quand il se trouve dans la nature et qu’il se sent dépassé par ce spectacle qui l’élève, le bouleverse, l’émeut, et parfois le terrorise.
Je crois que nous avons tous expérimenté ce sentiment à un moment ou un autre, cet émerveillement devant l’harmonie de la nature ou l’ordre cosmique. Or beaucoup de gens vivent en ville et se sont coupés d’un tel spectacle. Il est urgent de redécouvrir ce sens profond et universel du sacré qui fait que l’on se sent appartenir à un Tout, un Tout harmonieux et qui nous dépasse. Ce faisant, on peut éprouver des joies très puissantes, se sentir ancré à la Terre et relié au cosmos. Alors que lorsqu’on est délié de la nature, on flotte comme un brin de paille, on reste cantonné dans le mental, les idées.
« Il est urgent de redécouvrir ce sens profond et universel du sacré qui fait que l’on se sent appartenir à un Tout »
N’est-il pas déjà trop tard pour envisager « autre chose » ?
N. H. : J’avoue qu’à l’oral, je triche un peu avec la réalité. Au risque de paraître prétentieux, je vois le monde sans filtre, dans sa difficulté à évoluer. Le temps que nous avons mis à réagir rend la résolution de ces crises d’autant plus complexe.
Une fois que l’on a dit cela, pour employer une formule banale, « il est trop tard pour être pessimiste ». On peut envisager le pire, mais pour encore, j’espère, l’éviter. Car si tout est foutu, comme certains en font une quasi-religion, ce n’est plus mobilisateur ; c’est le règne du chacun pour soi.
Actons que notre monde est très complexe, et qu’il peut nous réserver de bonnes surprises. Dit autrement, il y a des raisons d’être inquiet : il suffit d’être lucide. Et je préfère la lucidité au déni. Je reste néanmoins confiant : si nous arrivons, par je ne sais quel miracle, à montrer une intelligence collective nous permettant d’agir dans le même sens, nous pourrions encore faire faire un saut qualitatif à l’humanité.
F. L. : Je reste optimiste, car il existe des solutions et l’histoire a montré que l’être humain, lorsqu’il est confronté à de grands défis, est capable de s’adapter très vite. Des deux guerres mondiales, par exemple, sont nées la construction de l’Europe ; aujourd’hui, une guerre entre la France et l’Allemagne serait inimaginable. Je pense, hélas, qu’on va aller de catastrophe en catastrophe, ce qui conduira cependant les consciences à se mobiliser et à évoluer rapidement. Toute la question est de savoir si ça ne sera pas trop tard par rapport à l’emballement du réchauffement climatique… Seul l’avenir nous le dira.
*D’un monde à l’autre, le temps des consciences, par Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir (propos recueillis par Julie Klotz), Ed. Fayard, 2020
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