Repris et commenté par plus de 200 médias, le sondage CSA sur les catholiques français que nous avons publié dans notre dernier numéro a eu un impact considérable et suscité de nombreuses réactions en France et à l’étranger. Même le Vatican, en la personne du cardinal Poupard, a réagi, dénonçant « l’analphabétisme religieux » des Français. Je voudrais revenir sur quelques-unes de ces réactions.
Des membres de l’Église ont souligné à juste titre que la chute spectaculaire du nombre de Français se déclarant catholiques (51 % contre 63 % dans les derniers sondages) était surtout due à la formulation de la question : « Quelle est votre religion, si vous en avez une ? » au lieu de la formule plus couramment utilisée : « À quelle religion appartenez- vous? » Cette dernière formulation renvoie davantage à un sentiment d’appartenance sociologique : je suis catholique parce que j’ai été baptisé. La formulation que nous avons adoptée a paru beaucoup plus pertinente pour mesurer une adhésion personnelle, laissant en outre plus ouverte la possibilité de s’affirmer « sans religion ». Il est bien évident, comme je n’ai cessé de le rappeler lors de la publication de ce sondage, qu’il y a plus de baptisés que de personnes se déclarant catholiques. Un sondage avec une formulation classique donnerait probablement d’autres chiffres. Mais qu’est-il plus intéressant de connaître? Le nombre de personnes ayant été élevées dans le catholicisme ou de celles qui se considèrent aujourd’hui comme catholiques ? La manière de poser la question n’est pas seule en cause dans les chiffres obtenus. Henri Tincq nous rappelle qu’en 1994, l’institut CSA avait posé, pour un sondage publié dans Le Monde, exactement la même question que pour le sondage publié en 2007 dans Le Monde des Religions : 67 % des Français se disaient alors catholiques, ce qui montre la forte érosion survenue en douze ans.
De nombreux catholiques – clercs ou laïcs – se sont par ailleurs sentis découragés par le déclin de la foi en France, exprimé par une série de chiffres: il ne reste ainsi, parmi les personnes se déclarant catholiques, qu’une minorité de fidèles véritablement engagés dans la foi. Je ne peux m’empêcher de mettre en perspective ce sondage avec la disparition récente de deux grands croyants, le dominicain Marie- Dominique Philippe et l’abbé Pierre (1), qui étaient de véritables amis.
Ces deux personnalités catholiques d’horizons si différents, me disaient en substance la même chose : cet effondrement, depuis plusieurs siècles, du catholicisme comme religion dominante, peut constituer une véritable chance pour le message évangélique : on pourrait le redécouvrir de manière plus vraie, plus personnelle, plus vécue. Mieux valait, aux yeux de l’abbé Pierre, peu de « croyants croyables » qu’une masse de croyants tièdes et contredisant par leurs actes la force du message chrétien. Le père Philippe pensait que l’Église, à la suite du Christ, devait passer par la passion du vendredi saint et l’enfouissement silencieux du samedi saint avant de connaître le bouleversement du dimanche de Pâques. Ces grands croyants n’étaient pas accablés par la baisse de la foi. Au contraire, ils y voyaient les germes possibles d’un grand renouveau, d’un événement spirituel majeur, mettant un terme à plus de dix-sept siècles d’une confusion entre foi et politique qui a dévoyé le message de Jésus : « Voici mon nouveau commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. » Comme disait le théologien Urs von Balthazar : « Seul l’amour est digne de foi. » C’est ce qui expliquait la fabuleuse popularité de l’abbé Pierre et qui montre que les Français, à défaut de se sentir catholiques, restent extraordinairement sensibles au message fondamental des Évangiles.